Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/29

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C’était le dimanche, c’est cette terrasse : elle donnait par devant sur le lac, elle donnait au levant sur une rue, à l’ouest sur une ruelle, de l’autre côté de laquelle il y avait un jeu de quilles. Ici, on est tout à fait à l’abri du vent du nord et, à mesure que le soleil se tournait davantage vers nous, il faisait plus chaud dans l’air immobile, tandis qu’on voyait la bise tomber plus loin sur le lac faisant mille petits plis, qui fuyaient rapidement vers le large. Dès les onze heures, le jeu de quilles était devenu bruyant ; on voyait par-dessus le mur que les joueurs avaient ôté leurs vestes. Ils avaient ôté leurs vestes gris de fer du dimanche ; ils avaient des chemises blanches mises propres le matin. Les quilles dégringolaient comme quand on éclate de rire. Il y avait dans la salle à boire ceux qui viennent prendre l’apéritif et ils étaient beaucoup plus nombreux que d’ordinaire, parce qu’il fait tellement beau (et puis aussi peut-être pour une autre raison). Ceux qui jouaient aux quilles buvaient sur place ; on buvait dans le jeu de quilles, on buvait dans la salle à boire. La servante allait et venait, Milliquet allait et venait ; Mme Milliquet elle-même avait fini par arriver ; — là-haut personne n’a bougé encore, pendant que le dessous des branches des platanes fumait, pendant que la terrasse finissait de perdre son humidité.

Midi sonne.

À présent c’est Rouge qui prend la parole. Rouge disait : « Moi, je suis arrivé à deux heures avec Décosterd. Le dimanche, je lui paie à boire. »