Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/34

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éclat de rire des quilles lui fait alors tourner la tête vers les deux petites fenêtres qui se touchent sur le devant de la chambre sous le toit ; là, elle s’étonne plus encore. On ne voit rien d’abord, parce qu’il y a deux lumières : il y a celle d’en haut et il y a celle d’en bas, il y a celle du ciel et il y a celle de l’eau. Elle n’a pas compris, à cause de ces deux lumières ; il faut premièrement qu’elle les sépare, mettant la main à plat au-dessus de ses yeux. On jouait aux quilles, on tapait avec un verre ou une chopine sur les tables, des conversations à haute voix étaient engagées, on appelait le patron ; — dans les fenêtres, c’est toute cette eau qui flambe en pétillant par petites rangées, et brûle blanc comme un feu de copeaux. En bas c’est l’eau, mais il y a trois choses. L’eau en bas, puis elle regarde un peu plus haut et c’est la terre (si c’est bien encore de la terre, cette autre rive, quand on dirait plutôt de l’air pétri, de l’air qu’on aurait serré entre ses mains). C’était comme de l’air dans de l’air, c’était du bleu dans le bleu, jusqu’à ce que plus haut, mais là elle n’a plus compris du tout : là pendait aux cordeaux du ciel la belle lessive des champs de neige…

« Et c’est alors, disait Rouge, que l’ouvrier de Rossi s’est mis à jouer. Il faut dire que c’est un artiste comme il n’y en a pas deux dans le pays. Et l’instrument !… Un instrument de douze basses tout en bois précieux, avec des fleurs de pêcher tellement bien imitées qu’on les cueillerait, et les touches sont en argent… Un instrument de cinq cents francs au moins, alors il faut entendre le détaillé des notes hautes : le