Page:Ramuz - La beauté sur la terre, 1927.djvu/66

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mêlés de vieux bouchons et d’éclats de bois devenus gris comme de la pierre, il recommence à s’étonner :

— C’est que vous parlez très bien notre langue… Vous avez seulement un peu d’accent…

Parce qu’elle avait un drôle d’accent avec de singulières brièvetés dans la fin des mots, et un peu rauque.

— Il me vient de ma mère.

— Quelle langue est-ce qu’elle parlait ?

— L’espagnol.

— C’est la langue de là-bas ?

— Oui, dit-elle, mais ma mère est morte. Mon père est mort, ma mère aussi.

Elle s’était tue. Elle avait baissé la tête. Elle tenait ses mains l’une dans l’autre sur ses genoux :

— Il était contremaître dans les chemins de fer ; il venait me voir le dimanche. On allait pêcher ensemble…

Comme si elle avait eu besoin de tout lui dire, à lui, mais c’est peut-être aussi qu’on s’est tue trop longtemps.

— Il a été malade huit jours seulement…

Elle se tait de nouveau, et lui n’osait rien répondre, pendant qu’elle secouait doucement la tête ; n’osait même pas la regarder, tournait et retournait entre ses doigts sa pipe de bois à couvercle.

— Huit jours, puis me voilà ici, alors ça fait une grande différence…

Elle dit :