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LA GRANDE PEUR

effet, un coup de fusil dans la gorge ; puis ce nouveau malheur s’est mis à descendre vers eux.

Ils n’avaient pas compris tout d’abord, ceux du poste ; ils avaient vu seulement d’abord que c’était un homme qui venait ; ils étaient courus hors du fenil avec leurs fusils, pensant l’empêcher de passer ; criant : « Halte là ! » puis tout à coup :

— Mais c’est Romain !…

Et c’était Romain en effet.

Il s’était passé ceci que Romain, tout en continuant de se tenir caché, n’avait pourtant pas pu rester longtemps tranquille. Son vieux goût l’avait remordu. Il s’était remis à penser à son fusil et à cette fissure de roc où, sous les feuilles sèches, il y avait l’arme, une poire à poudre, de la grenaille, des capsules dans une boîte de fer-blanc, parce que c’était un vieux fusil à chien, mais ça n’empêche pas, au contraire ; — il avait été remordu par l’idée de ce fusil ne servant plus à rien, tandis qu’il aurait eu maintenant tout le temps qu’il fallait pour s’en servir et même il ne savait plus que faire de son temps. Il n’y avait plus tenu ; il avait fini par se dire : « Si j’allais quand même ? »