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LA GRANDE PEUR

Clou penchait la tête de côté ; il toussotait.

— Il paraît, disait-il, que c’est à vous qu’on doit s’adresser pour l’alpage…

Il s’était mis à regarder le Président de dessous celle de ses deux paupières qui pouvait servir encore, car l’autre était pour toujours immobile sur l’orbite vide du globe de l’œil ; il avait le nez de travers, il avait la partie gauche de la figure plus petite que la partie droite ; il se tenait devant vous les mains enfoncées dans les poches, il penchait la tête de côté.

Il regardait le Président avec son seul œil, qui était le droit ; on ne savait jamais très bien s’il vous regardait ou non.

On ne savait jamais très bien avec lui, de sorte que le Président se trouva embarrassé, n’ayant réussi encore à engager personne d’une part, mais parce qu’il aurait beaucoup mieux aimé, d’autre part, s’il l’avait pu, ne pas avoir affaire à cette espèce d’hommes-là ; à un homme de cette espèce, dont plus personne ne voulait depuis longtemps ; alors il vivait, on ne savait pas très bien de quoi, allant chasser sans permis, allant pêcher sans permis, allant chercher des plantes dans la montagne, allant