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LA GRANDE PEUR

— C’est justement, disait Munier, tu es trop jeune. Vingt ans, vous ne vous rappelez pas… Nous, au contraire, on se rappelle.

Alors il a raconté une fois de plus ce qui s’était passé, il y a vingt ans, dans ce pâturage d’en haut, nommé Sasseneire ; il disait :

— On tient à notre herbe autant que vous, autant que vous on a souci des finances de la commune : seulement l’argent compte-t-il encore, quand c’est notre vie qui est en jeu ?

Ce qui fit rire ; mais lui, continuant :

— Que si, comme je dis, et je dis bien, et je redis…

— Allons ! disait le Président…

Les jeunes le soutenaient toujours, mais les vieux protestèrent encore ; et Munier :

— Je dis la vie, la vie des bêtes, la vie des gens…

— Allons, recommençait le Président, c’est des histoires… Tandis que mon cousin Crittin est un homme sérieux, on aurait avec lui toute garantie. Et, comme je vous dis, ce serait septante bêtes au moins qui seraient casées pour tout l’été, quand on ne sait déjà plus comment les nourrir ici, à cause de toute cette herbe de là-haut qui s’en va pour rien, devient verte, pousse,