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Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/159

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Sentant à s’échapper sa bile toute prête,
L’époux ferme les yeux et détourne la tête.

Le supplice, à mon gré, le plus rude de tous,
Le plus propre à vexer un malheureux époux,
C’est une femme auteur, bavarde insupportable,
Qui du chantre d’Enée, en prenant place à table,
Commence par vanter le poème divin ;
S’attendrit sur Didon et son triste destin,
Compare les écrits, les juge en maître habile,
Et, la balance en main, pèse Homère et Virgile.
Tout fléchit devant elle et baisse pavillon :
Les rhéteurs sont vaincus ; les clients, le patron,
A ces cris qu’on prendrait pour un son de clochette,
Demeurent interdits et la bouche muette ;
Et de ce carillon tel est le bruit confus,
Que l’huissier, l’avocat, le plaideur, je dis plus,
Qu’une autre femme en vain voudrait se faire entendre.
Phoebé, toi que des cieux un charme a fait descendre,
A quoi bon ces bassins, ces clairons, ces tambours ?
Elle seule au besoin viendrait à ton secours.
Ce n’est pas encor tout ; philosophe nouvelle,
Le portique n’a rien qui soit caché pour elle.
Car, sitôt qu’une femme a la prétention
De briller par le style et l’érudition,
Elle peut bien aussi, discourant sur l’honnête,
Marquer le point précis où le juste s’arrête,
Se baigner pour un as, retrousser son manteau,
Et faire au dieu des bois l’offrande d’un pourceau.
Garde-toi, Posthumus, d’admettre dans ta couche,
La femme qui, toujours de grands mots à la bouche,
Rougirait de parler avec simplicité ;
Qui décoche avec art l’enthymème écourté ;
Qui sait tout, juge tout, histoire, vers et prose ;
Il est bon qu’une femme ignore quelque chose.
Pour moi, je ne saurais souffrir le vain jargon