Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/365

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Qui, pour toute industrie, une rame à la main,
Sait guider, sur son fleuve, une conque de terre,
Le vil Égyptien n’a pas craint de le faire !

Quel supplice inventer, où trouver un tourment
Capable d’expier l’affreux égarement
D’un peuple aux yeux de qui la soif de la vengeance,
Autant que la famine a droit à l’indulgence ?
Le créateur pourtant, en nous donnant les pleurs,
Prouve qu’il a gravé la pitié dans nos cœurs.
Elle est du genre humain le plus beau caractère ;
C’est elle qui nous fait gémir sur la misère,
Sur le deuil d’un ami plongé dans la douleur,
Quand, sous un vêtement conforme à son malheur,
Pour défendre sa cause, il parait en justice ;
Ou que de son tuteur poursuivant l’avarice,
Un pupille encor vierge, et les cheveux épars,
Sur son sexe incertain attendrit nos regards.
Et lorsque nous voyons, d’un pas lent et tranquille,
S’avancer le convoi d’une fille nubile ;
Lorsque avant d’être mûr pour le fatal bûcher,
Tendre fleur qu’en passant la mort vient de toucher,
Un fils est déposé dans le sein de la terre,
Si nous sommes émus d’un trouble involontaire,
Si des pleurs, malgré nous, s’échappent de nos yeux,
De la nature encor c’est l’ordre impérieux.
Quel homme irréprochable et digne que sans crainte,
Cérès entre ses mains remit la torche sainte,
Insensible à l’aspect des misères d’autrui,
Peut croire qu’il en est d’étrangères pour lui ?
Entre la brute et nous s’il est quelque distance,
Tendre pitié, c’est toi qui fais la différence !
Oui, c’est pour obéir à ce doux sentiment,
Que nous avons du ciel reçu l’entendement,
Cet ineffable don qui rend l’homme capable
Et d’adresse aux dieux un culte raisonnable,