Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/39

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Chacun peut en passant salir le piédestal.
On rentre, et, maudissant un espoir trop crédule,
Les plus anciens clients quittent le vestibule.
Ils pensaient du patron partager le soupé ;
Hélas ! en ses calculs comme l’homme est trompé !
Ils courent, indignés de se voir éconduire,
Acheter quelques choux et du bois pour les cuire.
Cependant, au milieu de tous ses lits déserts,
Rassemblant les tributs des forêts et des mers,
Le monarque, éloigné d’une foule importune,
Comme un gouffre sans fond, engloutit sa fortune.
Car des tables de cèdre, au contour spacieux,
Que l’artiste enrichit d’un travail précieux,
Une seule, aux gourmands de sa vorace engeance,
Suffit pour dévorer un patrimoine immense.
— Tant mieux. Si tous les grands en usaient comme lui,
Moins de gens compteraient sur la table d’autrui.
— Sans doute ; mais comment souffrir qu’un homme avide,
Se fasse pour lui seul, dans son luxe sordide,
Servir un sanglier, animal monstrueux,
Né pour rassasier des convives nombreux ?
Qu’il tremble toutefois : la nature inflexible
Garde à sa gourmandise un châtiment terrible
Et de cruels tourments l’attendent dans le bain,
Au moment où gonflé d’aliments et de vin,
Il y viendra porter, au sortir de la table,
D’un paon mal digéré le poids insupportable.
De là tant de vieillards, avant leur testament,
D’un trépas imprévu frappés subitement.
Du mort peu regretté la fin inattendue
De souper en souper est bientôt répandue,
Et ses amis frustrés, affectant un vain deuil,
Au bûcher en riant escortent son cercueil.
C’en est fait : le désordre a passé la mesure :
Nos crimes sont au comble : et la race future,