Page:Raoul - Trois satiriques latins, vol 1 Juvénal, 1842.djvu/61

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Qu’à force d’ornements l’art a défigurées ;
Oh ! qu’aux bords de cette onde, avec bien plus d’amour,
La nymphe se plairait à fixer son séjour,
Si du simple gazon qui faisait leur parure,
Le marbre n’avait pas profané la verdure !
C’est là qu’Umbricius, triste, l’air abattu :
Puisqu’enfin, me dit-il, le talent, la vertu,
Les arts que peut sans honte exercer l’honnête homme,
Ne trouvent plus de place ou languissent à Rome ;
Puisque le peu que j’ai, s’échappant de ma main,
Moindre aujourd’hui qu’hier, diminuera demain,
Je veux m’en exiler ; je veux, avant que l’âge
Des rides à mon front ait prodigué l’outrage,
Pendant que sur mes pieds je me tiens sans fléchir,
Qu’à peine mes cheveux commencent à blanchir,
Qu’il reste à Lachésis de quoi filer encore,
D’une ingrate cité fuir les mœurs que j’abhorre.
Le dessein en est pris ; je cours aux lieux déserts
Où s’arrêta Dédale en descendant des airs.
Adieu donc, ma patrie : adieu, ville funeste :
Que, s’il peut y rester, Arthurius y reste :
Qu’ils y vivent comblés et d’honneurs et de biens,
Ceux qui savent changer, par d’infâmes moyens,
Les vices en vertus et les vertus en vices :
Qui, ramassant de l’or parmi les immondices,
Se chargent de curer les égouts et les ports
De conduire au bûcher la dépouille des morts,
Et pour le moindre gain, prêts à tout entreprendre,
Eux-mêmes à l’encan mettraient leur tête à vendre.
Autrefois dans nos bourgs, on s’en souvient encor,
Ils sonnaient en public du clairon ou du cor.
Aujourd’hui ce sont eux que l’on voit dans l’arène,
Usurpateurs des droits de la pourpre romaine,
Au signe accoutumé d’un peuple frémissant,
De l’athlète vaincu faire couler le sang !