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individuelle et de la solidarité sociale. Tout ce qui favorise le développement de la pensée critique et scientifique, tout ce qui amène plus de solidarité humaine est progressif. Ce qui entrave cette marche de l’humanité vers la science et la solidarité est réactionnaire.


V


En analysant le processus historique et social à l’aide de sa méthode qu’il appelle « subjective », Pierre Lavroff a fait une classification vraiment remarquable des divers éléments qui constituent l’histoire. Dans chaque période historique, il y a trois catégories de faits à distinguer. Ce sont d’abord les « survivances du passé », les revenants d’un autre âge qui hantent le présent, le mort qui saisit le vif. Parmi les survivances de notre époque, il place en première ligne le mysticisme religieux et l’esprit métaphysique, les tendances purement politiques et libérales accompagnées de l’indifférence pour le mouvement social actuel, la doctrine de l’art pour l’art et de la séparation de la science et de la vie. Viennent ensuite comme second élément du processus historique, les « problèmes caractéristiques de l’époque », ce qui occupe le centre de la vie historique, ce qui constitue sa physionomie particulière. Il est presque inutile d’ajouter que pour Pierre Lavroff, le « problème caractéristique » de notre temps, qu’il appelle souvent la période de la civilisation « laïque », est le mouvement socialiste. À ces deux éléments de chaque période historique — les survivances du passé et les problèmes caractéristiques du présent, il en ajoute un troisième : les « germes de l’avenir ». Ce sont des éléments destinés à entrer comme parties intégrantes dans la phase historique qui se prépare par l’élément actif et historique du présent.

Il ne suffit pourtant pas de désigner ces trois éléments de l’histoire. Il faut les étudier dans leurs relations réciproques, dans leur action continuelle l’une sur l’autre. C’est la tâche qu’il s’est posée particulièrement dans son œuvre : L’Histoire de la Pensée dont le titre nous paraît un peu trop général et par conséquent trop vague. Il est impossible d’analyser ici cet ouvrage remarquable qui témoigne chez l’auteur d’une érudition universelle et d’une vigueur de pensée hors ligne. Cette œuvre, restée malheureusement inachevée, est consacrée spécialement à la période anthropologique et antécritique de notre civilisation.

Elle comprend une foule d’aperçus ingénieux se rapportant aux problèmes de notre temps. J’y reviendrai dans la mesure du possible dans la partie critique de cette étude.