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suppression de l’antagonisme des intérêts économiques. Lavroff caractérise heureusement ce socialisme primitif « socialisme d’instinct ». L’homme était comme rivé par la force de la coutume primitive à la commune. Avec l’idéal de quelques penseurs généreux, à la recherche de la meilleure société possible, le socialisme instinctif est remplacé par le socialisme utopique qui se distingue autant par sa générosité que par son mépris de la vie réelle.

L’analyse de la propriété et du capitalisme donne naissance au socialisme scientifique. Pierre Lavroff ne s’arrête pas aux considérations spéciales d’ordre économique. Sur ce point il accepte les idées de Marx, pour lequel il professa toujours un respect aussi profond que sincère. Il s’applique plutôt au côté moral ou social de la question.


VII

L’homme pour exister et pour se développer a besoin de « s’approprier physiquement et intellectuellement une partie du monde extérieur ». La propriété est née de la nécessité et n’est justifiée que comme telle. Notre dignité ne réside pas dans la chose appropriée, dans notre propriété. Celle-ci n’est qu’un moyen nécessaire pour le développement de notre dignité intégrale. Le monde extérieur est indifférent aux questions de notre dignité, de notre morale, de notre droit. La terre et tout ce qu’elle contient ne nous appartient donc pas par un droit, naturel ou non. Il n’existe pas de droit de propriété. Il n’existe pour nous qu’un droit au développement intégral. Ce droit implique celui de « l’appropriation » des moyens nécessaires. Droit d’appropriation temporaire, insiste Pierre Lavroff, et non de propriété éternelle. La propriété n’est qu’une nécessité et ne doit être que provisoire.

Dans une société aux intérêts opposés, où le lien moral entre les hommes est absent, la propriété se monopolise. Chacun s’approprie tant qu’il peut. Une lutte sans pitié décide qui sera propriétaire.

Mais avec la naissance de la notion de droit, on cherche tout d’abord à l’appliquer aux circonstances dans lesquelles vit cette société basée sur le principe de la propriété prisée. On confond la dignité de la personne humaine avec le fait brutal de la possession de la chose appropriée. On se croit en « droit » de posséder. On idéalise le principe de la propriété. On le trouve « juste ». Cette notion anormale de « la propriété juste », on a cherché à l’appliquer non seulement aux choses, mais aussi aux hommes. L’esclave était « la propriété juste » de son maître ; le seigneur était propriétaire de droit de son serf, le