Page:Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française.djvu/9

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d’un peuple vertueux ou corrompu, commerçant, navigateur ou agricole. La filiation des termes conduit à celle des idées ; par la comparaison des mots radicaux, des usages, des formules philosophiques ou proverbes, qui sont les fruits de l’expérience, on remonte à l’origine des nations.

L’histoire étymologique des langues, dit le célèbre Sulzer, seroit la meilleure histoire des progrès de l’esprit humain. Les recherches de Peloutier, Bochart, Gebelin, Bochat, Lebrigand, &c. ont déjà révélé des faits assez étonnans pour éveiller la curiosité & se promettre de grands résultats. Les rapports de l’allemand au persan, du suédois à l’hébreu, de la langue basque à celle du Malabar, de celle-ci à celle des Bohémiens errans, de celle du pays de Vaud à l’irlandais, la presque identité de l’islandais qui a l’alphabet de Cadmus, composé de dix-sept lettres, avec le punique, son analogie avec l’ancien celtique qui, conservé traditionnellement dans le nord de l’Écosse, nous a transmis les chefs-d’œuvre d’Ossian ; les rapports démontrés entre les langues de l’ancien & du nouveau monde, en établissant l’affinité des peuples par celle des idiômes, prouveront d’une manière irréfragable l’unité de la famille humaine & de son langage, et par la réunion d’un petit nombre d’élémens connus, rapprocheront les langues, en faciliteront l’étude & en diminueront le nombre.

Ainsi la philosophie qui promène son flambeau dans toute la sphère des connoissances humaines, ne croira pas indigne d’elle de descendre à l’examen des patois ; & dans ce moment favorable pour révolutionner notre langue, elle leur dérobera peut-être des expressions enflammées, des tours naïfs qui nous manquent. Elle puisera sur-tout dans le provençal qui est encore rempli d’hellénismes, & que les Anglais même, mais sur-tout les Italiens, ont mis si souvent à contribution.

Presque tous les idiômes ont des ouvrages qui jouissent d’une certaine réputation. Déjà la Commission des arts, dans son instruction, a recommandé de recueillir ces monumens imprimés ou manuscrits ; il faut chercher des perles jusques dans le fumier d’Ennius.

Une objection plus grave en apparence contre la destruction des dialectes rustiques, est la crainte de voir les mœurs s’altérer dans les campagnes. On cite spécialement le Haut-Pont, qui, à la porte de Saint-Omer, présente une colonie laborieuse de trois mille individus, distingués par leurs habits courts à la manière des Gaulois, par leurs usages, leur idiôme, & sur-tout par cette probité patriarchale & cette simplicité du premier âge.

Comme rien ne peut compenser la perte des mœurs, il n’y a pas à balancer pour le choix entre le vice éclairé & l’innocence vertueuse. L’objection eût été insoluble sous le règne du despotisme. Dans une