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LE RAISIN VERT

les aspects physiques de la mort par une familiarité attentive. Aussi connaissait-elle à fond la planche « Homme » du Petit Larousse, qui montre un squelette avec le nom de ses diverses pièces. Lorsqu’elle l’avait étudié, elle allait se placer devant la glace, et, regardant longuement son image, imaginait l’ossature sous la chair. Le squelette n’avait alors plus rien d’effrayant : il était une charpente, simplement. « Mais je sais bien que ce n’est pas moi, moi qui le regarde en ce moment. »

Alors était né le souci de ce moi, de ce qu’il devenait dans la mort. Restait-il capable de penser ? Capable d’aimer ?

La seule épouvante de la mort, c’était son pouvoir d’indifférence, et qu’elle anéantît à jamais l’un pour l’autre deux cœurs qui s’étaient aimés.

Mais s’il y avait un au-delà, comme la religion l’affirmait, l’effroi n’était pas moins grand de songer que les âmes pouvaient s’y trouver éternellement séparées.

Le prédicateur n’avait pas pensé à ce tourment-là, fort heureusement. Il avait parlé de géhenne et de feu et de la soif des âmes qui jamais ne verront Dieu. Mais il semblait ignorer qu’on peut s’aimer sur terre au point de souhaiter partager l’enfer avec ceux qu’on aime.

S’il l’avait su, sans doute aurait-il éclaté en menaces et en imprécations. Jésus n’a-t-il pas dit : « Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive ? »

Et le Corbiau craint de s’avouer qu’elle n’aime pas Jésus. La Passion l’émeut de pitié, elle voudrait pouvoir remonter le temps pour mettre de l’huile sur les plaies de la victime et lui tendre un verre d’eau fraîche à la place de l’éponge imbibée de vinaigre. Mais ce n’est que de la pitié. Son amour ne peut aller à lui, qui n’a pas connu les liens de l’amour terrestre. Assis au milieu de ses disciples et prêchant, lorsqu’on vient lui dire que sa mère et ses frères