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LE RAISIN VERT

une fois le dessous du bras, je t’arrache le nez avec mes dents… À la fille d’Ylmer

Au sommet d’une tour que hantent les corneilles
Tu la verras debout, blanche aux longs cheveux noirs.
Deux anneaux d’argent fin…

— Ça y est ! l’esprit chapardeur a encore chipé le savon à la violette ! Enfin, c’est inouï ! Est-ce qu’un esprit ne pourrait pas se laver au savon de Marseille aussi bien qu’une jeune fille, je vous le demande ?

— Sais-tu de qui tu as le profil ? interrompit Laurent dont ce verbiage ne parvenait pas à dérider la mine sombre et farouche.

— Non, souffla Lise, soudain attentive, et elle leva sur son frère les yeux d’une petite fille qui assiste au déballage d’une surprise.

— Tu as le profil du requin, dit Laurent. Le nez en pointe et la bouche en large. Et tu louches, ma fille, je regrette, mais ça ne fera qu’augmenter avec l’âge.

Lise faillit basculer au fond d’un abîme de désespoir, se rattrapa à l’extrême bord et, reprenant son aplomb, loucha avec intention sur le costume de son frère. Ce fut au tour du garçon de se sentir instable.

Il avait acheté ce complet de flanelle beige — son premier costume d’homme — au rayon de confection d’un grand magasin, avec la double intention d’affirmer son indépendance et de donner à ses sœurs une saine leçon d’économie. Ce qui l’obligeait moralement à user son costume jusqu’à la corde, bien que le pantalon fût trop large et le veston cruellement étriqué. Pour en corriger l’effet, il portait avec cela un vieux chapeau melon de son père, qui le coiffait comme un pot. Isabelle croulait de rire, quand elle le voyait partir ainsi affublé, avec son bel œil offensé et sa mâchoire menaçante. Mais le droit au ridicule faisait partie de la liberté de Laurent.