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LE RAISIN VERT

rence humaine, elle vit comme la méduse qui se colore au gré des vagues.

— Je veux bien te croire, mon cher, dit Jacques. Il me paraît cependant que ton jugement n’est pas exempt de toute prévention affective. De plus, je te ferai remarquer que tu postules l’imbécillité plus que tu ne la prouves.

— Enfin, reprit Laurent brusquement, as-tu jamais considéré la vie comme une rigolade ? Et l’avenir comme une partie de plaisir ? Non ? Tu es comme moi, tu te considères comme lancé dans une terrible aventure dont le commencement et la fin sont également révoltants pour tout homme qui pense, et tu te sens environné de menaces constantes. Enfin, tu es un être sensé. Eh bien, mon cher, les femmes, sais-tu ce qu’elles font ? Elles dansent le tango ! Oui, mon cher, jusque dans les lycées de jeunes filles. Ma sœur Lise en perd la tête.

Jacques Henry considéra attentivement, de son œil bleu et transparent comme un sérac, une mince petite nuée suspendue dans le ciel.

— Et ta sœur Anne-Marie ?

— Celle-là, dit Laurent, je crois qu’elle l’aurait assez, le sentiment du danger.

Jacques Henry hocha la tête :

— C’est quelqu’un de profond, dit-il d’un air entendu.

— Sûr, approuva Laurent. Tandis que ma sœur Lise, pour avoir le sentiment du danger… Cependant, reprit-il avec une précipitation alarmée, ne va pas en conclure que ma sœur Lise soit une imbécile. Elle a son genre d’intelligence, tu sais ?

— Ce n’est pas moi, protesta Jacques, une main sur son gilet, ce n’est pas moi qui ai parlé tout à l’heure des cervelles ovines…

Laurent se mordit la lèvre, fronça le sourcil et envisagea d’un œil sombre un chaos de contradictions.