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III


En dépit de la tristesse des temps, c’était un bonheur de penser qu’on allait retrouver le lycée. Lise et le Corbiau en oubliaient presque la guerre, ce lundi d’octobre 1914, où elles s’acheminaient ensemble vers le train de ceinture qui reliait l’ouest verdoyant de Paris aux quartiers du centre.

Les trains étaient bondés de lycéens chamailleurs et de vieux messieurs allant à leur bureau. On aurait cru voir une image allégorique des âges de la vie réduite à ses extrêmes.

À la gare Saint-Lazare, un bel officier anglais attira tous les regards. Fendant la foule qu’il dominait d’une demi-coudée, l’aplomb immobile de ses épaules ignorait les foulées élastiques de ses jambes guêtrées de cuir fauve. Lise se plaça dans son sillage pour admirer la ligne de ses jarrets et respirer l’odeur du tabac opiacé. « Voilà, pensait-elle, une impression de guerre. Il n’y a pas à dire, nous vivons de l’histoire. »

Le Corbiau redoutait qu’on ne leur fît subir des condoléances excessives. Elle ne savait jamais comment se comporter en pareil cas et, aussi, elle craignait que Lise ne tirât un effet de la situation.

Mais il semblait qu’un vent de virilité eût soufflé sur toutes les petites têtes. On s’aborda gravement, sans s’abandonner aux effusions habituelles, et l’on gagna les salles de cours en rangs, dans un parfait silence.