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LE RAISIN VERT

qu’un, contre lequel il nourrissait la haine sourde de l’être domestiqué.

Comme s’il lui avait fallu satisfaire à une rancune enracinée dans le temps et qui commençait seulement à porter ses fruits, Laurent s’efforçait de détruire en lui-même tout ce qui avait fait de lui le rival heureux de son père. Rien de ce qui l’intéressait naguère ne le touchait plus. Ses crayons, ses pinceaux étaient relégués au fond d’un placard, il n’ouvrait plus un livre, hormis ses livres de classe, qu’il étudiait sans plaisir. Son jugement rapide et juste ne lui inspirait plus que sarcasmes ou réflexions désolées. Il s’interdisait même de rire, bridant son humour naturel et prétendait l’interdire aux autres.

Ainsi chacun savait qu’Amédée s’était étendu de tout son poids sur cette âme et tentait de l’étouffer. Et l’amour de sa mère et de ses sœurs, s’il essayait de l’assister dans cette invisible tragédie, se sentait mystérieusement repoussé. Le moment était venu du combat singulier où les femmes ne pouvaient plus rien. Quelle serait l’issue du combat, cela, sans doute, était inscrit comme le reste sur la ligne de la durée immobile, mais le moment n’était pas venu de le savoir.

Le Corbiau soupira, jeta autour d’elle un lent regard, et se rappelant tout à coup qu’Emmanuelle l’attendait, se hâta de ranger dans son placard la machine de Faraday qui venait de servir aux expériences et de refermer à clef la porte du laboratoire.

Après ce cours de physique expérimentale qui durait une demi-heure et pendant qu’Anne-Marie mettait de l’ordre au laboratoire, une surveillante conduisait la classe en étude. Et comme cette surveillante était une nouvelle venue, peu familiarisée avec les physionomies des élèves, elle ne s’apercevait pas qu’un petit contingent, toujours le même, avait disparu pendant le parcours d’une salle à l’autre.