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LE RAISIN VERT

grand soufflet d’amitié, tandis que Suzanne répliquait dans un éclat de rire :

— Allez, mon Figaro, vous n’êtes qu’un pauvre homme, avec vos devinaisons. Soyez content que l’on vous aime et ne demandez rien.

Là-dessus, on tambourina à la porte, qu’elles avaient fermée du dedans et les deux comparses se figèrent en échangeant un coup d’œil épouvanté.

Ce n’était par bonheur que la comtesse, suivie de Chérubin. Lorsqu’elles se furent fait reconnaître, un triple cri d’allégresse s’éleva : « Emmanuelle ! Emmanuelle ! »

— Salut, mes filles, dit cette jeune reine. Vous jouez ? J’en étais sûre. Tu vois, bourrique, avec tes probable !

Et sans transition, sur un ton traînant, nasal, languide mélopée aristocratique :

— Chérubin, mon enfant, voici venir le comte. Écartez-vous, enfant, il pourrait prendre ombrage de votre présence.

Almaviva, qui s’inclinait devant elle, reçut un regard hautain, chargé de triste reproche :

— Bonjour, monsieur, dit-elle avec froideur.

— Madame, je suis votre serviteur, répondit le comte en lui baisant les doigts.

Et c’était merveille de voir comment la fille d’un contrôleur des contributions directes savait incarner dans son geste la fate impertinence du libertin blasé et la courtoisie du grand seigneur.

— Bopp, s’écria Lise au comble de l’enthousiasme, Bopp, crois-moi, tu as du galbe ! Nous sommes vraiment très bien.

Chérubin se tenait à l’écart, un peu lent, comme toujours, à donner la réplique, mais vivant déjà son rôle à l’intérieur — nostalgie, impossible amour, fièvre adolescente : « Elle aime cet Almaviva, mais qu’importe, puisque moi je l’aime ! »