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LE RAISIN VERT

taient tout carminés et poisseux de l’œilleton des branches. Un soleil acide régnait dans le ciel blanc et bleu, et par instants, sous les bouffées de benzol et d’air poussiéreux, passait une pure odeur de linge campagnard séché sur la haie.

Au nom de Patachon, Cassandre fit le geste de chasser une mouche près de son oreille.

De profundis, dit-elle en riant. Si je suis revenue à Paris, c’est bien parce que j’en avais assez de la Belgique. Au fond, vois-tu, nous n’étions pas du tout faits l’un pour l’autre.

« C’est ce que j’ai toujours pensé, » se dit Lise, mais elle garda sagement cette réflexion pour soi.

— Oui, reprit Cassandre en cueillant du bout de sa cuiller une petite motte de glace à la vanille, quand on vit avec un homme, il y a des tas de choses qu’il faut savoir supporter…

— Naturellement, dit Lise d’un air entendu.

— Oh ! s’écria Cassandre, ce n’est pas ce que tu penses. Mais… tiens, par exemple, quand il était heureux, il m’appelait « ma poulette ». Ce mot me retournait les ongles. Eh bien ! je ne le lui ai jamais dit. En amour, vois-tu, il faut beaucoup de délicatesse. Enfin c’est fini, Dieu merci ! Les dernières semaines, nous en étions venus aux gifles.

— As-tu des nouvelles des anciennes de notre classe ? reprit-elle au bout d’un moment.

— Je crois bien ! Une hécatombe, ma chère. Solange Dreyfus, si jolie, mariée. À dix-huit ans ! Un crime. Marcelle Bopp, oui, notre Almaviva, notre d’Artagnan, mariée. Jamais son mari ne voudrait croire qu’il a épousé tant d’hommes. Et Emmanuelle, crois-tu, Emmanuelle !

— Non ! Elle a fini par donner de ses nouvelles ?

— Elle a écrit à Anne-Marie cet hiver pour lui annoncer son mariage. Figure-toi qu’elle était allée faire un voyage au Maroc avec le capitaine, et là,