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LE RAISIN VERT

frais et vif, était comme une eau courante. Laurent s’adossa à un réverbère et, tirant de sa poche un crayon et un carnet, se mit à dessiner de mémoire le visage de l’enfant. Il lui arrivait encore de crayonner des silhouettes, au café, dans la rue. Mais c’était un plaisir furtif, comme dérobé à la grande révolte de son adolescence, qui avait disputé à l’amour sa liberté de choix.

Le croquis achevé, il l’examina en sifflotant avec satisfaction.

Au même moment, l’envie le prit de déchirer la page. Il parut hésiter, puis referma le carnet et le glissa dans sa poche :

« Je le montrerai à Cassandre », pensa-t-il avec un élan de plaisir.

Et il repartit à grands pas vers la maison.

Lise avait décidé de rentrer à pied par ce beau crépuscule doré qui poudroyait au loin sur la Seine.

Elle allait, joyeuse, appelant les miracles. Et les miracles venaient en foule à l’appel de ses dix-huit ans.

Un jeu de soleil sur l’eau, le reflet tremblant des ponts, la rencontre d’un beau visage, et ce mouvement du soir qui abaissait les rideaux de fer sur les étalages caquetants des oiseleurs, comme des paupières… Tout était joie.

Elle s’engagea sur le pont des Arts et s’arrêta au milieu, pour admirer la Cité qui poussait vers le fleuve son faix médiéval de tours noircies, de clochetons et de flèches, entre les ramures des arbres, brouillées d’un nuage de verdure naissante. Il n’était pas une ligne de cette masse d’architecture qui ne délivrât le regard par quelque pointe en le conduisant vers l’espace ou vers l’eau. Et Lise contemplait avec un