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LE RAISIN VERT

Amédée mordit sa lèvre fébrile. Une fois de plus, la coalition féminine lui dérobait Laurent.

— Soit, dit-il d’une voix mate. Nous en parlerons ou plutôt nous n’en parlerons plus, car je m’en désintéresse. Laurent fera ce que vous voudrez, il ira où vous voudrez. Mais qu’il se souvienne plus tard de ce que je lui dis aujourd’hui : s’il arrive à l’âge d’homme sans avoir été complètement pourri par les femmes, c’est qu’il aura de la chance.

— Il y a des femmes qui sont capables de faire des hommes, répliqua Isabelle en lui jetant un regard fulgurant, des femmes qui savent se battre à face découverte. Tous les hommes n’en pourraient pas dire autant.

Ce fut dans la chambre aux malles que Mme  Durras retrouva son fils, ce même soir, après l’avoir cherché par toute la maison.

Cette pièce de débarras, sans fenêtres, était le refuge favori des enfants. Elle se trouvait située à côté de la cuisine, au fond du couloir de service et lorsque la porte en était fermée, on aurait pu s’y égorger sans que les habitants de la maison en fussent avertis.

Isabelle perçut cependant les sons étouffés d’un ocarina, et, tirant à elle la porte qui n’était pas fermée au loquet, elle découvrit Laurent assis sur une malle, à la lueur jaune et vacillante d’une petite lampe Pigeon.

En vovant entrer sa mère, il écarta de ses lèvres les deux conques de buis dont il tirait des sons geignards.

— Tu vois, dit-il, je m’exerce. Le vieux joueur d’ocarina qui passe tous les soirs dans la rue et à qui j’ai demandé une leçon avant-hier m’a dit qu’il se faisait à peu près quarante sous par jour. C’est honorable.