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LE RAISIN VERT

Elle reconnut de loin la voix de celle qu’elle cherchait et cessa d’avancer. Nina était dans le vestiaire, derrière la salle d’études des petites. Elle parlait à mi-voix, en français, très vite, avec un accent de colère concentrée et quelqu’un pleurait tout bas. Tout à coup Nina s’écria avec éclat :

— Hé ! tou m’emmbêtes ! J’ai assez de tes amitiés grandes ! Comprenne ? J’ai assez de toi, assez, assez ! Voualà.

Elle fit irruption dans la classe et la traversa, légère, courant vers le bal, en faisant danser les franges de son châle espagnol, encore si soulevée de colère qu’elle ne prit pas garde au Corbiau.

La petite se glissa dans le vestiaire. Qui pleurait là ? Pourquoi pleurait-on ?

Ce fut une première surprise de reconnaître le professeur de piano dans cette jeune femme qui sanglotait, adossée aux vêtements. Un professeur qui pleure à cause d’une élève, c’est le monde renversé — et cela, sans doute, suffisait à expliquer cette inquiétude, ce froid qui gagnait le cœur de la petite fille.

Oui, c’était bien Mlle Claire, son mince corps vêtu de noir, son visage pâle, trop poudré, aux yeux d’eau morte sous les bandeaux sombres. Quand elle se vit surprise, elle tressaillit et s’enfuit comme une biche. Étrange.

Il ne reste plus rien à faire qu’à retourner vers la salle de bal, lentement. Comme la voix de Nina était dure ! Comme elle a parlé méchamment, avec le besoin de faire mal ! Était-ce bien Nina, cette furie ? Et comment pouvait-elle se permettre de tutoyer Mlle Claire ? Étrange, étrange…

Mais voici Nina qui accourt au-devant de sa petite amie et toutes les perplexités fondent comme neige au soleil, le soleil de Nina…

Morenita ! Mais que tou es jolie ! Qui t’a fait cette costume ?