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LE RAISIN VERT

fait la bergeronnette avec sa tête, quand elle trotte sur un chemin…

Nina ne marchait plus, elle courait, suivie par tous ces regards émerveillés. Elle courait vers M. Jasmyn.

Maissieur Jasmyn ! Un fandango avec moi, Nina ?

Tout le monde cria : « Oui ! Oui ! » en battant des mains.

La pianiste attaqua un air très rythmé. On vit la taille de M. Jasmyn se cambrer sous le veston du smoking et ses jarrets se tendre et ses bras s’arrondir en corbeille. On vit se dégager un homme mince et allègre de cet olympien alourdi. Et le fantôme du danseur Jasmyn, de l’Opéra, brilla de vie, une brève minute, en face d’une créature étincelante, drapée dans un châle espagnol et dont les mouvements s’enchaînaient avec une telle rapidité qu’ils n’étaient plus qu’une arabesque vertigineuse, un entrelacs dont les lignes se seraient mises à danser, s’épousant et se quittant et s’engendrant l’une l’autre à l’infini.

Et puis vint ce moment où Isabelle dit tout bas, d’une voix inquiète :

— Il se fatigue. Elle le mène à un train d’enfer.

Et le cœur du Corbiau, sans qu’elle sût encore pourquoi, frappa dans sa poitrine le premier coup du tocsin.

À présent, tout le monde voyait que M. Jasmyn n’en pouvait plus. La salle entière était figée par une gêne grandissante. Au milieu de l’espace vide, entre les chaises, il y avait cette arabesque noire et rose et rouge qui précipitait le mouvement de ses lignes et la voix de Nina, ailée, survolant l’essoufflement, survolant sa propre danse : Anda ! Anda ! et la masse de M. M. Jasmyn, de plus en plus pesante, de plus en plus distancée…

Nina bondit, une main au-dessus de la tête, l’autre retenant les plis de son châle sur la hanche et ses