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LE RAISIN VERT

Vois ces petites mains griffues, pointues, faites pour lacérer ! Oh ! c’est un cruel petit démon… Mais comme tu es pâle, mon Corbiau ? Te voilà toute en sueur. C’est la chaleur, peut-être ? Veux-tu que nous allions prendre l’air ?

— En place pour le quadrille américain ! annonça M. Jasmyn en frappant dans ses paumes.

M. Jasmyn avait repris souffle. Il passait son mouchoir de soie dans son faux-col et souriait, d’un sourire un peu crispé. Il n’oublierait pas cette minute où la mort l’avait touché à l’épaule, jeté à genoux et maintenu au sol, mais il fallait continuer à mener le bal.

Lise passait en courant. Sa mère la happa au passage par un pan de sa tunique.

— Ici, Capricorne. Le talon d’un de tes cothurnes est en train de quitter la semelle.

— Zut, Zut, Zut ! pleurnicha Lise. Chiens de cothurnes ! M’en auront-ils fait voir ! Tant pis, je les enlève, je danserai pieds nus.

— Es-tu folle ? Allons au vestiaire. Je vais t’y faire trois points.

— Vite alors, vite, haleta Lise. Si je manque le quadrille, j’en ferai une jaunisse. Corbiau, viens avec nous. Je ne veux pas avoir l’air de la gosse que sa mère accompagne aux lavabos pour lui rattacher sa culotte.

M. Durras regarda s’éloigner le trio d’un œil plein d’amertume. Quand il se retourna, il vit au-dessus de lui le visage étincelant, aigu, de Nina Bonafé :

— On vous laisse tout seul, monsieur ? Ce n’est pas janntil !

— On me laisse souvent tout seul, mademoiselle, répondit Amédée.

Et tandis que Nina lui exprimait sa compassion par une adorable petite moue, il pensa :