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LE RAISIN VERT

Cette fois, elle eut un franc succès. M. Durras lui-même riait de plaisir.

— Quelle est drolle ! s’écria Nina.

— Oui, dit Amédée, Lise a un heureux caractère. De mes deux enfants, c’est la seule qui me ressemble.

— Cela lui fait plaisir de ressembler à papa, dit Nina d’un ton câlin. Voyez-la comme elle rit !

Lise riait d’un tel entrain que le Corbiau n’y put résister. C’était bon de se décharger de ce poids qui pesait sur le cœur depuis un long moment et qui ne faisait qu’augmenter, chaque fois que Nina regardait M. Durras ou que M. Durras regardait Nina. Qu’y avait-il donc entre eux, de si lourd ? Mais vraiment, la déclaration d’Amédée et l’éclat de rire de Lise balayaient tout.

Cependant une secrète inquiétude assiégeait la gaîté de la jeune poétesse. C’était encore un jugement de Laurent qui lui revenait en tête :

— Tu t’imagines que tu fais des vers parce que ça rime. C’est peut-être des vers, mais ce n’est pas de la poésie. Tu peux toujours t’aligner avec Victor Hugo ou Lamartine, ma fille !

Et Lise accueille les baisers et les caresses de Nina avec un sourire contraint. Laurent a raison, diablement raison.

— Dis encore ? demandait Nina. Dis encore, pour petit papa et pour moi, Nina ?

Lise devint très grave :

— Écoutez, ce que je viens de vous dire, ce n’est pas bien, ce n’est pas de la vraie poésie. Mais je peux aussi, la vraie, je peux… comme Lamartine. Je vais vous en dire une, que je n’ai encore dite à personne.

Côme Lamartine ? reprit la voix de Nina, avec une singulière vibration. Le grande Lamartine ? Hé ! bienne, quel petit orgueil !

— Absurde, souligna M. Durras. Un orgueil absurde. Vous comprenez, au lieu de la faire taire, à la maison,