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LA MAISON DES BORIES

mer, au fond du ciel, au fond des légendes et des songes, au fond des idées, au fond de la vie, au fond du temps. Ils étaient tous les trois au fond, protégés, paisibles, eux endormis, elle éveillée. Et les puissances murmurantes, la mer, le vent, le clair de lune, faisaient cercle autour d’eux et la clarté musicale frémissait à son oreille : « Regarde, nous te les avons donnés. Regarde et garde-les bien. »

Isabelle tremblait de la tête aux pieds, les mains jointes devant ses enfants endormis et les larmes ruisselaient, sans qu’elle s’en rendît compte, sur son visage transfiguré.

Qu’elle était heureuse, mon Dieu, qu’elle était heureuse ! Y avait-il jamais eu au monde une créature aussi heureuse qu’elle ?

Quand elle redescendit — au bout de combien de temps, elle ne savait — elle retourna s’accouder à sa fenêtre. Elle était trop heureuse pour dormir, le sang lui battait dans les veines, des milliers de cœurs lui battaient dans le sang.

« Comment avait-elle pu se plaindre et douter, tout à l’heure ? Alors qu’elle les avait à elle, et la vie devant eux — et en eux et en elle cette force de l’esprit qui les sauverait tous ? Ils seraient des lumières, ils avaient tous en eux de quoi devenir des lumières, c’était écrit sur leur front.

« Laurent, ah ! Laurent, son port de tête si fier, ses sourcils nets, ses yeux, ses magnifiques yeux tendres et veloutés… Quand il descendait furtivement à l’aube pour voir lever le soleil, caché avec Chientou dans le champ de pommes de terre… Elle les voyait tous les deux de sa fenêtre, le garçon accroupi dans le feuillage sombre et tenant le cou du chien tourné vers l’orient, comme pour lui apprendre à regarder le lever du soleil avec des yeux d’homme et le chien avait l’air de comprendre, il aboyait à petits coups brefs et nuancés, comme une conversation… Et quand