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LA MAISON DES BORIES

— C’est vous qui… C’est vous maintenant qui… oh ! oh ! oh !… Et ça ! Et ça !

Il sortit de sa poche une lettre froissée, mâchée, qu’il jeta sur la courtepointe.

— Haâh… c’est donc ça… soupira Isabelle avec l’accent d’un soulagement infini, un soupir musical, qui n’en finissait plus, délivrant sa poitrine, la vidant jusqu’au fond.

Rien n était arrivé aux enfants. Il avait trouvé sa lettre et voilà tout. Elle seule était en cause, — et pour elle seule, elle ne craignait rien. Elle se trouvait comme dans une île, cernée par un bras de mer infranchissable et loin, là-bas, sur le rivage, un homme la menaçait et lui montrait le poing, un tout petit homme ridicule. Comment ne voyait-il pas la mer entre eux, comment ne comprenait-il pas qu’il était ridicule, avec ses menaces ? La suggestion de l’image fut si forte qu’elle se mit à rire — non d’un rire de théâtre, mais d’un rire franc, irrésistible, un rire de jeune fille qui lui dilatait la poitrine et remplissait ses yeux de larmes. Et chaque fois qu’elle regardait son mari, debout en face d’elle, blême dans sa barbe sombre, tragique, les bras croisés comme un justicier, elle pensait : « Lui qui n’aime pas l’eau ! » et le fou rire la reprenait.

— Ça vous fait rire ? hurlait Amédée, ça vous fait rire ? Vous vous êtes foutue de moi pendant dix ans et ça vous fait rire ? Vous m’avez bafoué, roulé, trompé, et ça vous fait rire ? Vous avez essayé de me faire assassiner et ça vous fait rire ? Et pour le bouquet, vous vouliez empoisonner nos enfants, de sang-froid, et ça vous fait rire ? Mais qu’est-ce que vous êtes donc, hein ?

Isabelle prit un grand souffle, tamponna ses yeux diamantés de larmes joyeuses, se moucha et s’assit commodément dans son lit. Allons ! il fallait tout de même écouter ce que racontait ce petit homme, là-bas.