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LA MAISON DES BORIES

le regardait, les prunelles fixes et se mordait les poings.

Amédée s’approcha du lit, conciliant :

— Voyons, qu’y a-t-il ?

Elle poussa un cri aigu, un cri de terreur ou de folie :

— Ne me touchez pas ! Ne me touchez pas ! Allez-vous-en, ne me touchez pas !

Il recula de nouveau jusqu’au fauteuil. Qu’était-ce encore que cette crise de nerfs ? Elle brandissait ses poings vers le plafond, les secouait avec une expression de désespoir dément :

— Oh l’horreur ! l’horreur ! L’horreur de cette vie ! L’horreur !

— Quelle vie ? demanda-t-il en essayant de mettre de la patience dans sa voix. De quoi parles-tu, voyons ?

Elle cria encore, comme si ce « tu » l’avait brûlée. Et son gémissement reprit :

— Allez-vous-en ! Allez-vous-en ! Vous ne voyez donc pas ? Allez-vous-en ! Par pitié, allez-vous-en !

— Parfait, dit-il d’un ton sec et outragé. Je m’en vais.

— Je m’en vais ? reprit-il, la main sur le bouton de la porte. Vous voulez vraiment que je m’en aille ?

Un râle indistinct — douleur ou fureur épuisante — gronda dans la poitrine d’Isabelle.

— Comprends pas, dit Amédée à la cantonade en levant les sourcils et les épaules.

Il fit claquer la porte derrière lui, gagna la rue.

Isabelle, sur son lit, se tordait comme pour échapper à des liens, jetait de tous côtés ses cheveux, ses mains crispées :

— L’horreur de cette vie ! L’horreur ! L’horreur !

Elle avait vu clair, tout à coup. Vu sa vie, leur vie, nue, entière, dépouillée du voile des habitudes et des patiences, reconstituée hors de l’émiettement quotidien. Cela dépassait les forces, submergeait le