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LA MAISON DES BORIES

pattes au milieu du chemin. Lise le remit sur le ventre et dit tout haut d’un air affable : « Pas de quoi. Au revoir. »

Les hurluberlus étaient là, comme tous les soirs, autour du gros chardon violet. Tout un vol de petits papillons bleus, plus bleus à l’envers des ailes qu’à l’endroit, couleur de brouillard et de rêve, indécis, paresseux, volant bas et se laissant cueillir à la main et enfermer dans une boîte à thé sans même paraître y prendre garde. Quand la Zagourette eut rempli sa boîte, elle regarda autour d’elle en souriant vaguement, la bouche entr’ouverte. Son cœur battait très vite, très fort et il lui semblait que des cercles en partaient, de plus en plus grands, qui allaient s’élargissant jusqu’au fond du paysage, jusqu’aux Cévennes bleues dans le soir pur. Elle était à la fois submergée et soulevée et s’abandonnait. Cela lui arrivait à chaque instant : devant un champ d’avoine verte où le vent courait, devant une fleur, un caillou, une bête, devant sa mère. C’était à la fois très ordinaire et merveilleux. Mais y avait-il quelque chose qui fût ordinaire ? Ou plutôt y avait-il quelque chose qui ne fût pas merveilleux ? Les cercles se rétrécirent lentement, graduellement et finirent par se concentrer dans un petit noyau dur : une boîte en fer-blanc pleine de papillons bleus. Lise ouvrit le couvercle, secoua la boîte : « Z’envolez-vous, allez ! » Ils s’envolèrent sans hâte, comme indifférents à la liberté, se posèrent presque aussitôt dans les creux du chemin, sur les cailloux, sur les chardons, engourdis, mous, somnambules, avec une lente, paresseuse palpitation de leurs ailes bleuâtres, comme s’ils respiraient par là et non par… Au fait, comment respiraient-ils ? Ils n’avaient pas de nez. Ah ! quels hurluberlus ! Bonsoir, les hurluberlus. À demain.

Elle revint vers la maison, sautant d’un pied sur l’autre, faisant danser ses boucles, et débitant tout