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LA MAISON DES BORIES

fléchie par des murs blancs. Dans ce bureau perché au deuxième étage, directement au-dessous du grenier, on se serait cru au sommet d’un phare. L’été, M. Durras tenait ses volets clos jusqu’à cinq heures du soir et l’hiver, bien avant quatre heures, il repoussait dehors la lumière immobile, réfléchie par la neige, l’espace illimité, boréal, où un épervier planait sans mouvement et il s’enfermait avec sa lampe et son feu, ses meubles Empire tapissés d’une soierie verte et les plaques de schiste noir ciselé d’empreintes fossiles qui couvraient les murs : Ammonites et fougères, un ichtyosaure qui tenait du crocodile nain et de l’espadon et un ptérodactyle curieusement fossilisé la tête en bas, dans une attitude d’impossible vol, sa délicate membrane écartelée, son bec conique tendu vers les profondeurs de la terre. La lumière de la fin du jour posait sur la surface polie des schistes de pâles reflets étirés, l’image fantôme d’une fenêtre aux rideaux blancs. L’image disparut lorsque Amédée s’interposa entre la fenêtre et son reflet.

Il se tenait debout, les mains dans les poches, et regardait au dehors, à travers le rideau, sans s’appuyer à la vitre.

Isabelle était dans le jardin avec les enfants. Ils se promenaient tous les quatre le long des allées, regardaient les fleurs, et parlaient d’un air sérieux et animé. Pour dire quoi ? Des bêtises, évidemment. Comment pouvait-elle les prendre ainsi au sérieux, toujours ? Comment pouvait-elle !

Il secoua les épaules et revint s’asseoir à sa table. C’était agréable de placer une sensation d’oisiveté dans l’attitude habituelle du travail. Il éprouva d’abord cette sensation douce, puis se persuada qu’il l’éprouvait encore, y réussit pendant un instant, — mais cela aussi s’évapora et il s’aperçut qu’il s’ennuyait. Il tira sa montre : sept heures vingt huit. Encore vingt-sept minutes à passer.