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LA MAISON DES BORIES

valut, reléguèrent au second plan, pendant deux ou trois mois, son mécontentement profond. Isabelle l’avait accompagné à Paris, semblait heureuse de ses succès. Bien entendu, on n’avait pu lui faire admettre de sevrer Laurent et de le laisser aux Bories, — comme si un enfant de dix mois, dans une maison confortable avec une bonne aux petits soins, pouvait courir quelques risques… Enfin ! Tout cela, et même les piailleries du moutard qui perçait une dent et n’était pas capable de prendre son mal en patience, tout cela s’effaça au rayonnement de la thèse glorieuse.

Tous trois revinrent aux Bories. Amédée se remit au travail. Il projetait un grand ouvrage, une Géologie du Massif central qui surpasserait toutes les études similaires connues jusqu’alors. De nouveau, il s’en alla dans la montagne, parcourant le pays pendant cinq, six jours de suite. C’était là des journées bienheureuses pour Isabelle, qui regardait pousser Laurent du matin au soir et du soir au matin, — et souvent, en le regardant, son regard devenait pensif et tendu comme si elle déchiffrait une partition difficile.

À mesure qu’il grandissait, l’enfant se révélait frénétique, ivre de vacarme et de destruction, nerveux et sensible à l’excès. Isabelle lui imposait une vie réglée, beaucoup de sommeil, le grand air et les douches, évitait auprès de lui les éclats de voix, les gestes violents, et quand il était méchant lui répandait prestement un verre d’eau froide sur la tête, ce qui l’apaisait comme par enchantement. Et lui, dès qu’il avait su balbutier, avait inventé pour elle des mots inouïs qu’il ne disait qu’à elle, — et dès qu’il avait pu marcher seul, il lui avait rapporté du jardin ou des champs des fleurs décapitées et toutes flétries dans sa petite main grasse. Elle le prenait sur ses genoux, mesurait la longueur de ses cils avec son mètre souple et s’émerveillait, car aucun enfant au monde n’avait jamais eu des cils aussi longs,