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LA MAISON DES BORIES

— En vérité, dit Amédée avec lenteur, voilà un petit voyou qui fait grand honneur à sa mère.

Il étend la main, saisit l’enfant par le poignet À ce moment, il a conscience d’un débat, d’un choix possible : « Si je le prenais sur mes genoux, si je lui disais : « Mon petit… » Mais il ne peut pas, déjà il ne peut plus. Isabelle a murmuré sourdement, moitié imploration, moitié menace :

« Amédée, Amédée, ne lui faites pas de mal… » et le son de cette voix déchaîne en lui la cruelle et fascinante vibration et il se repaît de ces traits bouleversés, de cette lèvre mordue, de ces genoux de femme qui se serrent convulsivement sous la robe. Son bras se détend et il gifle Laurent à toute volée, une, deux, avec la paume, puis avec le revers de la main, imprimant sur la joue du petit garçon, en blanc d’abord, puis en rouge, la trace de quatre doigts longs et le chaton de sa grosse chevalière.

Ce cri, c’est Isabelle qui l’a poussé. Elle s’est levée, d’un élan animal, pour se jeter sur son mari. Est-ce sa volonté qui l’arrête ou ces mots de Laurent qui claque des dents, mais qui parvient à dire sans bégayer :

— Pleure pas. Ma Gentille, il ne m’a pas fait mal ?

Amédée regarde son fils, sa femme avec des yeux fous, sort de la pièce, va s’asseoir sur le banc du jardin, soudain anéanti, vidé. Il contemple les fleurs écrasées sous le soleil de midi, leur port affaissé, leur peau moite où la couleur se dénature, comme sous l’effet d’une putréfaction intime.

Découragement, désolation de vivre. S’il n’était pas un homme, il pleurerait… oh ! comme il pleurerait sur lui-même !

Amédée Durras, Amédée Durras… où est-il, Amédée Durras ? qui est-il ? Il est marié et n’a pas de femme. Il est père et n’a pas d’enfants. De quel destin dérisoire est-il donc l’ouvrier ?

Isabelle… Quand il la surprend au milieu de ses