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LA MAISON DES BORIES

l’éther, décrivait une fois de plus son orbite, planète morte, éclairée d’un reflet trompeur. Où allait-elle ? Nulle part. À quoi servait-elle ? À rien.

Amédée souleva un drap ruisselant de lumière froide, se glissa dans son lit et le sommeil miséricordieux l’engloutit aussitôt, comme il avait englouti Laurent.



Le Corbiau Gentil regardait fixement l’ombre, de branche de sorbier, que le vent balançait en mesure sur le mur éclatant.

Elle ne bougeait pas, cillait à peine. Ses pieds étaient glacés, ses mains glacées, ses joues brûlaient et son cœur battait faiblement, loin, loin d’elle, comme enfoui sous des masses de neige. Mais il battait encore trop fort, car à chaque battement, l’idée, l’idée intolérable, crucifiante, reprenait force et la peignait : « C’est moi qui ai fait punir Laurent… » « Il ne m’avait rien fait, il ne m’avait rien dit, il n’avait pas parlé de cette lettre pour me faire enrager, au contraire, puisqu’il avait dit qu’il « la » flanquerait dans le ravin, et c’est moi qui l’ai fait punir.

« Il ne cafarde jamais, il me défend toujours, il s’est fait battre pour moi le jour où l’oncle Amédée voulait me gifler et qu’il s’est mis devant moi avec ses poings serrés et son air à lui, et que l’oncle Amédée a hurlé de colère et l’a battu à tour de bras, — et c’est moi qui l’ai fait punir…

« Il avait confiance en moi. Lise avait confiance en moi, Isabelle avait confiance en moi et voilà que je l’ai fait punir…

« Quand j’ai eu mon angine, il faisait des dessins pour m’amuser et Lise me racontait des histoires pour m’amuser et Isabelle me faisait de la tisane au miel et des laits de poule à la fleur d’oranger, et ils ne quittaient pas ma chambre, et voilà que je l’ai fait punir…