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TROIS PARMI LES AUTRES

au moral Ils auraient une conversation spirituelle, un peu scabreuse. Elle citerait Biantôme. Le jeune homme serait séduit ; il dirait à Antoinette :

« Elle est épatante, ton amie. » Il l’inviterait à venir chez lui. Un jour où il aurait la migraine, elle lui masserait le front. Il dirait : « C’est encore mieux que Grâce. » Elle deviendrait son amie d’élection. Il lui écrirait de longues lettres un peu folles, il lui ferait des poèmes…

À cet endroit, Suzon avait besoin de précisions pour continuer son roman. Elle voulait savoir si Antoinette serait jalouse, ce qu’elle espérait vaguement :

— Tu es sa seule confidente ? demanda-t-elle.

Antoinette haussa les sourcils avec indifférence.

— Je n’en sais rien. Il est probable que non.

— Enfin, tu es tout de même sa préférée ?

La jeune fille se mit à rire :

— Sa préférée, Suzon ? C’est curieux, quand tu dis ce mot-là, je vois des petites filles qui se bousculent autour du professeur ou des dévotes autour de M. l’abbé ou des odalisques qui s’entre-griffent le visage pour un regard du pacha. Dans tous ces cas, il y a deux plans et une espèce de crainte adoratrice qui monte du plan inférieur vers le supérieur.

« Mais, Polygone et moi, nous sommes sur le même plan, et nous nous regardons tranquillement au fond des yeux. Cela, depuis le jour où je l’ai rencontré dans un couloir de la Faculté et où il m’a demandé : « Savez-vous à quelle heure a lieu le cours du professeur Un Tel ? »