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TROIS PARMI LES AUTRES

retrouver l’essence de la luzerne et celle du trèfle incarnat, la suavité amère du trèfle d’Irlande, la fine vanille cachée dans le calice des petits liserons roses, la scabieuse doucement écœurante qui sent le poil de fleur… Elle n’y parvenait pas, tant ce mélange complexe était unifié dans une même électricité odorante et sèche. Mais l’imagination de la jeune fille lui représentait successivement toutes les plantes qu’elle évoquait, avec leur parfum frais, leur aspect, leur port particulier et leur poids dans la brise, et suscitait en même temps un monde de souvenirs sans visage qui fourmillaient dans son cœur avec une voluptueuse mélancolie.

Annonciade murmura, rêveuse :

— Les impressions… c’est drôle… Il y en a qu’on ne peut pas définir, d’autres qu’on arrive à traduire à peu près, par comparaison. Mais cela fait un singulier effet quand on essaie d’exprimer ce qui se passe là dedans (elle touchait son front, dont on voyait la pâleur sous ses cheveux sombres). Il semble qu’on s’en éloigne à chaque mot, et pourtant, quand on a fini de parler, on a créé quelque chose qui ressemble à ce qu’on éprouve. Ce n’est pas très clair, mais enfin vous me comprenez.

« Quelquefois, une image vous obsède, ou un mot, ou un air de musique. Cela vous emplit la tête, on ne sait pas pourquoi. De même que certains mots, certains sons ou certaines lignes vous font plaisir ou peine, on ne sait pas pourquoi. Et tout d’un coup, cela s’éclaire : vous voyez le rapport entre cela et votre vie. D’autres fois, cela ne s’éclaire jamais. C’est curieux ; on croirait que