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TROIS PARMI LES AUTRES

de n’être pas timide ! Moi, je sens que j’ai l’air d’une imbécile ! »

La formalité des présentations accomplies, il y eut quelques secondes de silence, une oscillation des esprits. La greffe du passé sur le présent allait-elle prendre — ou bien ne restait-il des années d’autrefois qu’un rameau sec ?

Antoinette, d’un coup d’œil, vit qu’il ne fallait pas compter sur André. Peut-être souhaitait-il autant qu’elle la résurrection de leur enfance, mais il était paralysé par une gêne invincible et ses yeux, baignés d’une eau brillante sous de longs cils fournis, fuyaient le regard de l’ancienne petite fille, défiants, chargés d’orage, comme s’il redoutait également le souvenir du passé et l’oubli de ce passé.

Par bonheur, il y avait Bertrand, sa grande bouche fraîche, ses yeux rieurs, son corps nerveux et dansant dont tous les gestes exprimaient la joie de vivre. Plantée en face de lui, Antoinette retrouva l’intonation de leurs appels quand ils s’amusaient, d’un bout du jardin à l’autre, à singer la gouvernante anglaise :

— Hullo ! Bertie !

— Hullo ! Girlie ! répondit aussitôt Bertrand, et comme si ces quatre syllabes avaient ouvert les vannes à une puissance torrentielle, il sauta d’un élan au cou de la jeune fille, l’embrassa trois ou quatre fois de suite à l’étouffer, criant entre chaque embrassade :

— Ah ! cette vieille Antoinette ! Ah ! cette vieille Toinon ! Ça fait plaisir tout de même de se retrouver !

— Ouf ! fit Antoinette quand il l’eut lâchée,