Page:Ratel - Trois parmi les autres, 1946.djvu/151

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
141
TROIS PARMI LES AUTRES

fleur jaune. Là-bas, étendue, cette jeune fille aux yeux clairs qui le regarde avec une intensité poignante. Ce jeu est plein d’un charme étrange. Il hume le parfum de cette minute, grain d’ambre ajouté au chapelet d’émotions qu’il égrène, insoucieux de ce qui suivra.

— Y êtes-vous ? demande Antoinette. La Jungle chante le chant du soir. Quand j’aurai fini, Mor dira son petit couplet, Baloo fera son entrée — et après lui les trois chasseurs,

— Allez-y, la Jungle. Nous sommes tous à quatre pattes, moralement parlant.

— Le soir s’est échappé du cœur des plantes, commence Antoinette à voix claire et profonde, et le voilà qui monte de liane en liane, de feuille en feuille, et que monte avec lui une odeur d’eau pure et la joie de mon peuple, jusqu’aux étoiles qu’on ne voit pas encore.

Peuple de la Jungle, hâtez-vous, avant qu’il ne retombe en pluie de nuit, avec la peur qui donne une voix aux feuillages et fait se hérisser les dos.

— Brrr… souligne Frère Gris qui attend son tour derrière un arbre.

Bagheera pouffe aussitôt. Mowgli, impérieux :

— Taisez-vous. Laissez parler la Jungle.

— Je suis le soir, je suis la Jungle. Je suis le pas léger qui va boire à la rivière, et l’oreille tendue pour écouter les pas, je suis le gosier altéré et l’eau qui rafraîchit le gosier. Je suis la terre fendue de chaleur, l’herbe que la fraîcheur gonfle, l’insecte dont le petit corps pompe la fraîcheur de l’herbe et mille et mille fois, de brin en brin, se réjouit. Je suis l’arbre, la feuille et