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TROIS PARMI LES AUTRES

cordés, il éprouvait le besoin d’écrire, mais la crainte orgueilleuse d’être inférieur à son ambition l’empêchait toujours de réaliser son désir et il comptait sur l’ambiance parisienne pour faciliter la création.

Il éprouvait aussi le besoin de se raconter. Mais, avec une humilité rageuse il proclamait ensuite qu’il n’était bon à rien, ne demandait qu’à vivoter dans son coin — et surtout qu’on lui fiche la paix !

Antoinette, penchée sur cette âme houleuse, s’efforçait à la sympathie, par principe. Elle comprenait qu’il souffrait et souhaitait le guérir. Mais la moitié des mots que lui disait André passaient à blanc sur son attention, toute tendue vers ce coin de jardin, là-bas, où Robert se promenait avec Annonciade. La journée ne s’éclaira qu’à partir de l’instant où Robert, à l’heure du thé, vint s’asseoir à côté d’elle, en lui disant gaiement : « Eh bien, belle Minerve, quoi de neuf ? » Et, tandis qu’elle répondait sur le même ton, elle enfermait ces mots précieux et le son de cette voix dans le reliquaire de sa mémoire, pour les savourer plus tard, solitairement.

Annonciade regardait sa main droite abandonnée sur la nappe. Tout à l’heure, en réponse à un mot spontané et touchant qu’elle avait dit, Robert s’était penché sur ses doigts, les avait effleurés de ses lèvres. Sur le moment, elle n’avait su que faire de cette main divinisée, qui lui semblait devenue plus lourde que l’autre. Maintenant, elle la tenait immobile, pour retarder l’évaporation de ce bonheur qui s’évanouissait sur sa peau, et, tout absorbée dans une sensation d’âme, elle