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trois parmi les autres

le temps des cartes de première communion, roses, bleues, glacées, dorées sur tranche, confiserie céleste pour les âmes enfantines. Aucune sainte du paradis n’avait daigné assister Annonciade dans le désert de mélancolie où elle méditait, petit Hamlet en jupons, entre une tête de mort et une feuille de vigne.

Seule, Antoinette s’était présentée, ange en tablier noir, avec ses yeux sérieux et clairs sous son front nu et ses longues jambes de messager accoutumé à parcourir les routes du ciel. À la manière des anges, Antoinette agissait moins par ses conseils que par sa présence fraternelle. Rien qu’à se confier à son amie, Annonciade éprouvait un soulagement, elle reprenait des forces en posant son front contre cette épaule un peu haute, qui fendait l’air avec assurance comme l’étrave d’un navire.

Mais ce qui consolait le mieux la petite fille, c’était les confidences qui répondaient aux siennes et qu’elle recevait avec un délicieux sentiment d’importance. Elle apprit ainsi que la légèreté d’un père, aussitôt consolé que veuf, et qui aimait trop les femmes pour aimer sa fille, avait instruit de bonne heure ces yeux clairs auxquels rien n’échappait. Le jour où elle avait compris de quoi étaient faites les délices des hommes, Antoinette crut de bonne foi en mourir. C’était une solution facile et distinguée, pensait-elle en passant en revue les divers moyens de suicide ; mais, chose étrange, son désir pourtant sincère était complètement dépourvu d’efficacité. Jamais elle n’avait pu faire passer dans la réalité ces gestes qu’elle imaginait avec un grand soulèvement d’or-