Page:Ratel - Trois parmi les autres, 1946.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
213
TROIS PARMI LES AUTRES

des vacances, qu’il n’y eût pas de pensionnaires derrière ces fenêtres pour entendre le chant montant de la voiture qui fusait dans la nuit comme l’appel de l’aventure. Pendant quelques secondes, elle se figura qu’elle était une de ces petites filles dévorées de rêve. Quand elle se retrouva à sa place, dans l’auto qui l’emportait elle ne savait où, entre un beau jeune homme et un chien blanc, la vie avait repris quelque saveur.

Ils étaient maintenant tout en haut de la ville, longeaient les maisons basses d’un faubourg qui devait être le quartier des tanneurs, car on respirait une forte odeur d’écorce de chêne et de pourriture sèche. Suzon, en se retournant, vit au-dessous d’elle une forêt de toits aigus, moyenâgeux, hérissés de hautes cheminées : tout le velours de la nuit s’était posé sur ces toits, laissant l’atmosphère plus claire autour de leur masse.

— Quelle est cette ville ?

— Vous ne le saurez pas, dit Bertrand, taquin, C’est contraire à nos conventions.

— Bertrand chéri ? Dites-moi où nous sommes ?

— Nous sommes en pays morvandiau. Contentez-vous de cette indication.

Sortie de la ville aux beaux toits, la voiture bondit en avant, laissant pétarader l’échappement libre, avec une fureur allègre qui traversa la petite de la nuque aux talons. Vraiment, il avait l’air ce soir, de vouloir l’emmener au bout du monde.

Des vallonnements serrés montent et descendent de chaque côté de la route. Les haies plus touffues, une odeur de verdure, l’épaisseur des bosquets qu’on aperçoit de toutes parts, disent la force