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TROIS PARMI LES AUTRES

— Tu comprends, je me suis laissé entraîner… Je voulais te le dire, d’abord, — et puis j’ai eu peur que tu ne comprennes pas. Tu aurais cru je ne sais quoi — et nous n’y voyions pas de mal, tu sais… Bertrand est si gamin, si gentil ! Et c’était tellement chic, ces promenades, la nuit… Il m’inspirait confiance. Je ne pensais pas que c’était un homme, tu comprends ? Seulement un petit copain… Mais maintenant, on ne m’y reprendra plus, ah non !

Quelle belle histoire à raconter ! À mesure qu’elle les détaillait, les épisodes prenaient un relief inoubliable. D’abord, les confidences sur les négresses, la Mousso de Robert.

— Ces hommes ! Non, tu imagines, ce qu’ils peuvent être infects ! Ces pauvres filles… Et tu sais ce qu’il m’a dit : « Ça ou un coup de poing, c’est la même chose… » Oh ! Quand j’ai entendu ça !

Antoinette hochait la tête. Elle avait connu de pareilles indignations, moins verbeuses et plus sincères peut-être, mais c’était déjà vieux… Pour se guérir des fureurs butées de son adolescence, elle avait recherché l’amitié des hommes, se disant qu’il fallait opposer à la haine instinctive la bonne volonté de l’esprit et comprendre… Maintenant, elle comprenait, elle admettait que les lois de leur univers fussent différentes des siennes. Suzon ferait sans doute une autre école. Le jour n’était pas éloigné où, passée tout entière au camp adverse, elle admirerait ce qu’elle condamnait aujourd’hui — oui, mais quels seraient les retours sournois et cruels de sa féminité domptée ?

Après la description de la course dans la forêt