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TROIS PARMI LES AUTRES

disait à André : « Elle a un bien beau regard, Antoinette. Si lumineux, si droit. On le reçoit comme une gifle. »

— Robert a dit ça ?

Cette nappe chaude, qui monte des reins jusqu’à la gorge… Malgré elle, Antoinette se trahit :

— Ce n’est pas possible. Robert me déteste.

— Crois-tu ?

Antoinette la regarde, saisie d’un espoir fou. Sur ce sujet, elle croirait la dernière des cartomanciennes de quartier, au moins pendant une heure — mais n’est-ce rien, une heure de vie ?

— Crois-tu ? Moi, je crois qu’il te taquine, qu’il te provoque, parce qu’il sent chez toi une force. Mais tu sais, on se bat toujours contre ceux qu’on aime le mieux…

— Tu es folle, répète l’autre d’une voix à peine perceptible.

Si elle avait un royaume, elle l’offrirait à Suzon. Sur le seuil de sa chambre, elle l’embrasse avec élan pour la première fois de sa vie :

— Bonsoir, mon petit chou chéri. Dors bien. Elle ajoute avec un rire complice :

— Et ne rêve pas aux forêts du Morvan !

— N’aie pas peur, répond Suzon même jeu. À la gare, la forêt !

Une fois allongée, Antoinette se laisse porter par une molle vague de bonheur. Sa migraine s’apaise, elle goûte un bien-être divin :

« Elle a un bien beau regard, Antoinette… »

Elle s’endormit comme une enfant.