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TROIS PARMI LES AUTRES

de suite son changement de coiffure. La journée serait heureuse.

En pénétrant dans la salle à manger, Robert vit Antoinette qui faisait semblant de lire. Le livre qu’elle tenait pesait étrangement à ses doigts froids et moites. Elle le posa sans affectation.

— Bonjour, Robert. Ça va ?

Il ne pouvait savoir au prix de quel effort elle était parvenue à cette aisance de la voix et du geste, alors que la vie agonisait dans tous ses membres. Mais il lui fut reconnaissant de sa simplicité, qui effaçait jusqu’au souvenir de leur dernière algarade. Ça, c’était chic. C’était digne d’un homme. Pour montrer qu’il comprenait, il retint une seconde dans sa main la petite main ferme et glacée, en la serrant fort. Antoinette en perdit à jamais la notion des phrases qu’elle avait préparées. Il y eut un instant de bafouillage, coupé de silences, pendant lesquels on l’entendait respirer. Une certitude fulgura dans l’esprit du jeune homme, lui fit entrevoir des possibilités exaltantes. Il devint songeur.

L’arrivée de Suzon permit à Antoinette de reprendre ses esprits. Ils s’en allèrent tous quatre, se promener dans le jardin en attendant Bertrand.

Annonciade et son amie marchaient en se tenant par les épaules. Cette attitude, simulacre de leur ancienne confiance, n’était plus qu’une comédie destinée à faire impression sur l’homme. Mais Antoinette était la seule à s’en rendre compte et se répétait tout en marchant : « Je me dégoûte, je me dégoûte, je me dégoûte… » heureuse, cependant, parce qu’il était là.