Page:Ratel - Trois parmi les autres, 1946.djvu/255

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
245
TROIS PARMI LES AUTRES

l’état d’âme de deux mousses qui vont s’embarquer sur le même bateau — sur la même galère, diriez-vous peut-être dans vos jours d’amertume. Mais il y en a un qui voit plus loin que l’autre et qui renseigne son compagnon… Est-ce que c’est un peu cela ? Je ne dis pas trop de bêtises ?

— Oui… Oui… Non… Non…, fait Antoinette de la tête, tellement oppressée qu’elle ne peut parler. Est-ce à cause de ce qu’il évoque, ou parce que l’émotion l’étouffe à penser qu’il a compris tant de choses, avec son air insensible ?

— Ah ! comme ce devait être charmant, cette amitié…, soupire le jeune homme avec une singulière nostalgie. Comme j’aurais voulu être l’une de vous, ou plutôt vous deux tour à tour…

— Ne vous plaignez pas, vous êtes aimé comme un dieu.

— Je le crains… Oui, je le crains. On peut vous dire cela à vous. Je ne suis qu’un homme, Antoinette, et cette petite fille… vous qui les connaissez, dites-moi s’il n’y a pas de quoi être un peu effrayé quand on songe à tout ce qu’elles attendent de nous ?…

— Il est certain que personne n’est à la mesure de notre imagination redoutable. Mais n’ayez pas peur, Robert. On ne vous demande, en somme, que d’offrir une armature à de changeants édifices de nuages. Prenez garde seulement de ne pas trancher trop violemment par votre caractère réel sur le fond du décor.

— Si vous croyez que c’est commode d’être réel tout en ne l’étant pas !

— Si vous croyez que c’est drôle d’être amoureuse !