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TROIS PARMI LES AUTRES

vies reprendraient leurs cours qui vont désormais s’écartant l’un de l’autre. Il faut saisir cet instant où l’élan du cœur tient en suspens les forces inexorables et jouir de cet instant comme s’il était toute l’éternité.

Cela, Antoinette ne l’a pas dit à son amie, pour ne pas l’attrister davantage, car elle seule possède la résignation de ceux qui ont fait connaissance de bonne heure avec l’irréparable. Mais elle lui a représenté qu’elle resterait ici quelques jours à peine, le temps de fermer la maison ; et qu’il était vraiment déraisonnable, pour un si court délai, de retarder son retour, de mécontenter ses parents, de décevoir Robert, qui se réjouissait tant de faire ce voyage avec elle… Que lui dirait-on, quand il arriverait tout à l’heure ? Aurait-elle le courage de le laisser partir seul ?

Et la petite a cédé, un peu peinée qu’on ne veuille pas de son sacrifice, mais soulagée au fond… car, en effet, qu’aurait-il dit, Robert ?

Maintenant, elles font le tour du jardin, lentes, en se tenant par le bras. Elles ne se lassent pas d’évoquer des souvenirs insignifiants, les plus expressifs pour ceux qui se sont aimés, car la médiocrité de l’objet fait mieux ressortir l’éclat de la lumière qui, à ce moment, les transfigurait…

— Tu te rappelles, quand l’anse de la timbale à lait s’est cassée et que tout le lait s’est répandu dans la cuisine, comme nous avons ri ?

— Et quand nous avons aidé Garrottin à arracher les pommes de terre ?

— Et le jour où j’avais mis ta robe mauve et que tu la cherchais partout ?