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TROIS PARMI LES AUTRES

y couronnaient de pampre un bouc. Elle étudia tous les détails de la scène puis se détourna avec un soupir découragé. Rien de plus ennuyeux que cette terre cuite qui sentait la fabrique, composée en toutes ses parties de la même substance inanimée, d’un jaune rougeâtre, stupide, nauséeux. Elle eut envie de les briser pour délivrer les enfants et le bouc empâtés dans cet ouvrage de tuilerie. Un vague fétichisme la retint : elle les avait toujours vus là. Il lui fallut enfin s’avouer qu’elle n’avait rien à faire dans ces chambres, où se réinstallait déjà l’odeur pelucheuse, un peu moisie, des vieux papiers collés sur un vieux mur. Elle s’en fut dans le parc, Moïse sur ses talons, tous deux quêtant.

L’aire de gravier et de terre molle qui entourait le marronnier était parsemée d’oursins verts : quelques-uns avaient éclaté dans leur chute et laissaient voir la châtaigne sombre nichée dans son alvéole de satin blanc. Mais Antoinette y chercha en vain l’expression qu’elle leur trouvait jadis : ces fruits, pour elle, avaient perdu leur visage.

En longeant la futaie où des feuilles nouvellement tombées éclairaient d’un jaune rayonnant ou d’une sécheresse rousse le glacis assombri par la pourriture des années précédentes, la jeune fille respira un souffle humide qui la fit grelotter. Elle pressa le pas jusqu’au potager, réjoui par les rayons du soleil de septembre. Les araignées d’eau patinaient sur l’eau tiède de la citerne, chargée de brindilles et de bulles. Ce miroir sombre et pustuleux ne lui inspira que répulsion funèbre. Debout sur le mur, elle contemplait la vallée où