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TROIS PARMI LES AUTRES

« Est-ce que je deviens folle ? »

Le son de sa voix, perdu dans l’étoffe mate de la nuit, était si grêle et formait un contraste si comique avec sa clameur intérieure qu’elle éclata de rire, nerveusement. Et ce rire, enfin, ouvrit la source anesthésiante des larmes.

Quand elle vit la forme des objets émerger de l’obscurité de la chambre, cependant qu’au milieu d’un silence moins compact que le silence nocturne des cris brefs de bêtes ou d’oiseaux lançaient isolément des flèches de vie, Antoinette se leva et vint s’asseoir sur le rebord de sa fenêtre, plongeant sa fièvre dans l’air froid.

Le ciel pâlissait en gris, comme un nègre malade. Il assistait avec crainte à ce simulacre de Jugement dernier que l’aube répète tous les matins sur la campagne décolorée. L’aigre trompette d’un coq transperce le repos. Du fond des lits, des corps pesants se lèvent, avec un goût de mort dans la bouche, lassés d’avance de la peine qui les attend. La vie humaine commence à traîner, dans les demeures closes, un étrange bruit de chaînes. Puis tout s’allège, s’aère et l’alouette chante.

L’aurore d’une journée claire parut à l’orient et se répandit avec une lente rapidité, comme un sang de fleur qui monterait à travers un réseau capillaire invisible. Le vent frais avait le goût de la rosée. Antoinette ne se lassait pas de lui tendre ses joues.

Au cœurs d’un engourdissement physique produit par les larmes et la fatigue de sa nuit d’in-