Page:Ratel - Trois parmi les autres, 1946.djvu/286

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
276
TROIS PARMI LES AUTRES

en elle un sourd écho, recommencement d’une vieille histoire, inscrite dans le cœur du rocher vivant… »

Longtemps, longtemps, pendant que le soleil montait, elle se caressa l’âme à sa songerie, laissant couler de temps à autre une larme douce avec beaucoup de pitié pour elle-même et pour toutes ses semblables.

Un chœur confus lui répondait, l’encourageant à vivre. Car elle était le sang chaud, les yeux qui voient, les membres qui étreignent et nulle peine au monde n’est assez forte pour triompher de ces puissances-là.

Elle poussa enfin un profond soupir et se leva en s’étirant devant la fenêtre. Le ciel s’inclinait vers la colline où des herbes rousses fixaient à la terre une onde d’incendie, et sa trame unie, d’un bleu fin, était absolument pure de nuages.

Le vent de septembre, à petit bruit, roulait sur l’appui de la fenêtre une carcasse de guêpe morte. Transparente, on l’aurait crue de cellophane. Antoinette, distraitement, jouait du bout du doigt avec le frêle cadavre annelé d’or.

Elle pensait qu’il faisait beau, qu’elle travaillerait peut-être cet après-midi au jardin. Vers le soir, elle irait voir l’abbé. Il fallait aussi qu’elle vérifiât la provision de bois, qu’elle fît ses comptes.

Moïse, qui l’avait aperçue du fond de la niche où il couchait, maintenant qu’il était grand, attira son attention par un jappement et une mimique de joie. Elle répondit : « Bonjour Moïse, » avec un faible sourire et se donna mentalement cinq minutes encore avant de faire les gestes qui rétabli-