d’avoir parlé une langue inaccoutumée, avec cette voix qui traîne un peu sur les syllabes pour faire valoir son timbre agréable, il ajoute, cordial et naturel :
— Vieux ballot, tu n’es pas fou ?
Siki ravale ses hoquets en bougonnant une explication. Suzon se met à rire d’un air qui veut dire : « Laissez, je l’excuse. »
Le jeune homme rit à son tour. Il a une grande bouche gaie, des dents de cannibale, des yeux d’un vert brun, couleur d’algue mouillée sous des sourcils en désordre. Un air de richesse et d’ardeur l’appareille à sa voiture. Suzon les trouve charmants et pense avec regret qu’elle ne s’est pas remis de poudre avant de descendre de wagon.
Va-t-il se décider à lui parler ? Il est au bord d’une phrase. Mais c’est le pharmacien qui parle, de l’intérieur de sa boutique :
— L’ordonnance sera prête demain matin seulement, monsieur Bertrand.
— Bien, je viendrai la chercher. Une esquisse de salut… Il monte dans sa voiture et démarre, au chant doux du moteur. Que voulais-tu qu’il fît, Suzon ? Il ne pouvait tout de même pas t’emmener.
— Suzon ? appelle Annonciade. Qu’est-ce que tu fais donc ? Antoinette est là.
L’auto de louage qui les emporte, une antique Peugeot à la carrosserie haut perchée, a des ressorts harassés de vieux fiacre. Elle ne ressemble guère à la Bugatti bleue. Suzon sourit à une image qu’elle déguste seule, les autres n’ont rien remarqué. Précisément, on suit la route par laquelle l’auto bleue, tout à l’heure, s’est enfuie.